Cet article se propose d’entrecroiser deux « scènes », le théâtre de l’auteur contemporain libano-québécois, Wajdi Mouawad, et un terrain de recherche sur le décrochage et sur la grande difficulté scolaire localisé dans un collège d’une banlieue populaire parisienne. Il procédera par une mise en miroir et en dialogue des « figures » d’adolescents et d’histoires singulières : d’un côté, les personnages, fictionnels, des pièces de Mouawad et, de l’autre, les collégiens, filles et garçons, bien incarnés et vivants, rencontrés pour la recherche dans le cadre d’un dispositif de groupes de parole adolescents. La fréquentation du théâtre de Mouawad, de ses mises en scènes et de ses textes, aide l’auteure à penser « ses » propres adolescents, à élaborer ce qui a été entendu sur le terrain, aux côtés d’appuis théoriques constitués ici par la psychanalyse (Freud, Winnicott, Aulagnier, Gaillard, Lesourd, Texier) et l’anthropologie (Douville, Hobsbawn). Le travail d’historisation, la quête généalogique, la traque des non-dits familiaux, l’exil, les violences de l’Histoire, la violence des séparations, la figure de l’étranger, la recherche du répondant adulte, si présents chez les héros de Mouawad, permettent à l’auteure d’entendre ce qui a pu faire défaut chez les collégiens et collégiennes rencontrés ou en tout cas ce qui demeure à l’état de questions sans réponse chez beaucoup de jeunes qui ont participé aux groupes de parole qu’elle a animés. Même si ses histoires s’inscrivent souvent dans des environnements incertains, Mouawad en fait de quasi universels de ce que peut faire l’adolescence à un sujet bousculé par l’Histoire. Il nous aide ainsi à penser des éléments de l’impensable, du refoulé, de notre contemporain concernant notamment les traumas de l’immigration, la revendication culturelle et religieuse, le déni/refus des savoirs scientifiques.