REVUE D'HISTOIRE DES SCIENCES (1/2023)
Pour acheter ce numéro, contactez-nous
Recevez les numéros de l'année en cours et accédez à l'intégralité des articles en ligne.
Le 30 septembre 1748, la Compagnie française des Indes orientales charge Pierre Poivre (1719-1786) de se rendre à Manille dans le but d’acquérir et d’acclimater à l’île de France le giroflier et la muscade, cultivés par la VOC (Compagnie néerlandaise des Indes orientales) dans ses colonies des îles Moluques. Le 1er octobre 1755, Poivre soumet au conseil supérieur de l’île de France une description manuscrite d’un plant de muscadier rapporté de l’île de Timor. L’apothicaire attitré de la Compagnie des Indes, Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet (1723-1778) conteste ce rapport et affirme que le soidisant muscadier est un aréquier. Dans cet article, nous relevons, dans un premier temps, les facteurs sociaux et relationnels qui ont conditionné les discours de cette controverse botanique, en cherchant leurs origines dans la documentation personnelle de Fusée-Aublet et de Poivre. Dans un second temps, nous observons les discours de détermination des muscadiers et la volonté de situer l’argumentation sur un plan à la fois scientifique, juridique et polémique. En analysant le récit complotiste élaboré par Poivre au sujet de Fusée-Aublet et d’autres personnalités de la Compagnie des Indes, nous tentons finalement de comprendre le régime épistémique qui sous-tend le discours rhétorique de cette controverse botanique.
On 30 September 1748, the Compagnie des Indes (French East India Company) instructed Pierre Poivre (1719-1786) to travel to Manila with the aim of acquiring and acclimatising in the Isle de France the clove and nutmeg trees cultivated by the VOC (Dutch East India Company) in its colonies in the Molucca Islands. On 1 October 1755, Pierre Poivre submitted a handwritten description of a young nutmeg tree he had brought back from Timor to the Conseil supérieur de l’Isle de France. Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet (1723- 1778), the official apothecary of the Compagnie des Indes, contested this report, claiming instead that the so-called nutmeg tree was in fact an areca palm. In this paper, we first identify the social and relational factors that shaped the discourses of this botanical controversy, looking for their origins in the personal papers of Fusée-Aublet and Poivre. Second, we observe the discourses of identification of the nutmeg trees and the will to elaborate the argumentation on a scientific, legal and polemical level. By analysing the conspiracy narrative deployed by Poivre about Fusée-Aublet and other personalities of the Compagnie des Indes, we try to understand the epistemic regime underlying the rhetorical discourse of this botanical controversy.