Revue d'histoire des sciences (2/2018)
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Ce texte concerne la place de la théorie de l’évolution dans l’argumentaire de l’Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique. Après avoir rappelé l’importance de la pensée biologique en général dans l’oeuvre du philosophe et survolé ses premières « études évolutionnistes », l’article analyse le « problème de l’évolution », tel qu’examiné par Canguilhem lors d’un cours en 1942-1943 à la faculté des lettres de l’université de Strasbourg. Demeuré inédit, ce cours intitulé « La biologie » complète celui sur « Les normes et le normal » et montre que le philosophe était moins préoccupé par la question de l’hérédité de l’acquis que par la démonstration scientifique du rôle des mutations dans la genèse des espèces. En effet, si la mutation n’est pas de facto létale ou sub-pathologique, comme le croient habituellement les biologistes d’orientation « fixiste », mais apte à donner naissance à de nouvelles formes de vie, c’est la preuve que « l’anomalie » ne doit pas être tenue d’emblée pour anormale. L’examen successif des théories évolutionnistes conduit cependant Canguilhem à reconnaître qu’à lui seul, le mutationnisme échoue à rendre compte de « l’orientation adaptative » des vivants ; d’où l’évocation du principe darwinien de sélection naturelle pour expliquer l’adaptation au milieu. Souvent décrite comme un processus conservateur du « type moyen » dans une population, la sélection apparaît cependant inadéquate à expliquer la production de la nouveauté en biologie. Afin de lever cette objection, Canguilhem fait appel aux travaux de Georges Teissier qui montrent que la sélection peut se révéler « créatrice » lorsque les conditions extérieures changent. Teissier apporte également au philosophe des éléments d’analyse qui appuient la thèse de la non-indifférence du vivant au milieu, fondement de la « normativité vitale » et point de départ de la philosophie biologique canguilhémienne.
This article explores the place of evolutionary theory in Canguilhem’s Essay on some problems concerning the normal and the pathological. After emphasizing the importance of biological thought in his work and after considering his early « evolutionary studies », this article focuses on « the problem of evolution » in a course Canguilhem taught in the Faculty of Arts at the University of Strasbourg in 1942-43. I argue that he was less concerned with the question of the heredity of acquired traits than with demonstrating the role of mutation in the origin of species. Indeed, if a mutation is not de facto lethal or sub-pathological, a claim made by most « fixist » (creationist) biologists, but capable of giving birth to new forms of life, it is proof that the « anomaly » should not to be considered as pathological from the outset. Canguilhem believes, however, that mutationism alone fails to account for the « adaptive orientation » of living beings in history, which leads to his resorting to the Darwinian principle of natural selection to explain adaptation. But, often portrayed as a conservative process of the « average type » in a population, natural selection also seems inadequate to explain new phenomena in biology. In order to get around this problem, Canguilhem borrows from zoologist Georges Teissier the idea that selection can be « creative » when external conditions change and, building on the latter’s work, argues that a fundamental characteristic of organisms is that they are never indifferent to their environments. In short, Canguilhem has found in evolutionary theory in general the foundation of « vital normativity », that is, the starting point of his biological philosophy.