Revue d'histoire des sciences (2/2020)
Pour acheter ce numéro, contactez-nous
Recevez les numéros de l'année en cours et accédez à l'intégralité des articles en ligne.
Cette étude présente une lecture rhétorique de l’ouvrage de Jacques Monod, Le Hasard et la nécessité . La nouvelle rhétorique de Chaïm Perelman propose, dans les années 1960, un élargissement du champ d’action de la rhétorique antique à tout discours argumentatif, ce qu’est cet Essai de philosophie naturelle sur la biologie moderne. L’exorde de l’ouvrage laisse d’emblée apparaître que Monod maîtrise les normes rhétoriques mais qu’il en fait usage avec une certaine liberté. La narration, chargée d’exposer les concepts de sa philosophie, présente l’objectivité de la nature comme postulat de toute recherche scientifique et philosophique. Si la démarche argumentative est cohérente, l’exposé des concepts est parfois difficile d’accès, ce qui compromet l’objectif premier de tout discours argumentatif : gagner l’adhésion du plus grand nombre. La réfutation de Monod se focalise sur quelques philosophes, et sur le marxisme en particulier, selon des procédés rhétoriques reposant essentiellement sur les différentes formes de polémiques. Sa confirmation est le coeur de son ouvrage : il y expose les avancées en biologie moléculaire comme autant de preuves de son postulat d’objectivité. Monod en profite, par un habile procédé rhétorique, pour présenter son épistémologie, fondée sur le hasard des mutations et la nécessité de la sélection naturelle. La péroraison donne lieu à une ultime digression où il tente de concilier valeur et vérité dans une éthique de la connaissance. Sortant alors du cadre imposé par les normes de la rhétorique, Monod ne peut convaincre tous ses lecteurs comme le prouve la correspondance qu’il a reçue. Il fait cependant montre de réels talents d’écrivain.
This study presents a rhetorical reading of Jacques Monod’s book, Chance and necessity. In his central work The New rhetoric, published in the 1960s, Chaïm Perelman proposes to extend the scope of ancient rhetoric to any argumentative discourse, which biology. From the outset, the exordium demonstrates that while Monod masters the norms of rhetoric, he also uses them with a certain degree of liberty. The narratio, whose object is to expound the concepts of his philosophy, presents objectivity of nature as the premise of all scientific and philosophical research. While his argumentative approach is coherent, the presentation of the concepts can be difficult to comprehend, which jeopardizes the chief object of any argumentative discourse, namely to win the approval of the majority. Monod’s refutatio focuses on various philosophers, and on Marxism in particular, by using rhetorical devices based mostly on different forms of controversy. The confirmatio is the core of his work : he expounds the breakthroughs in molecular biology as so much evidence of his postulate of impartality. Taking advantage of a cunning rhetorical device, he presents his epistemology, founded on the chance of mutations and on the necessity of natural selection. The peroratio gives Monod the opportunity for a final digression where he tries to reconcile value and truth in what he calls an ethic of knowledge. Stepping outside the framework required by the norms of rhetoric, Monod fails to convince all his readers, as the letters he received amply demonstrate. He nonetheless shows that he really is a talented writer.