REVUE D'HISTOIRE DES SCIENCES (2/2021)
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Cet article suit la trajectoire croisée de quatre psychiatres de formation à l’époque stalinienne, Vassilii Giliarovskii, Mikhail Gurevich, Anatolii Ivanov-Smolenskii et Aleksandr Shmar’ian. Ils cumulent les fonctions dans les instituts de recherche, dans les universités et au Commissariat à la santé ; tous tenants d’une approche anatomique, ils n’en sont pas moins concurrents, quand ils ne s’affrontent pas. Débutant avec la campagne « contre le matérialisme mécanique et l’idéalisme menchevik » lancée par Staline en décembre 1930, l’analyse s’intéressera aux luttes entre les protagonistes pour imposer leur démarche et faire carrière, à leurs manières d’agir et à la redéfinition des règles sociales de la science. L’article avance l’hypothèse, à contre-courant de l’idée que les tournants autoritaires représentent forcément une fermeture des possibles, qu’ils peuvent aussi constituer une ouverture des possibles, tant sur les plans individuel qu’institutionnel. Ces opportunités nouvelles vont toutefois avec la mise à l’écart de démarches spécifiques et des collègues les défendant. Le rétrécissement des possibles intervient bien, mais pas avant le début des années cinquante, quand les autorités politiques décident d’en finir avec le pluralisme dans les sciences.
This article traces the intersecting trajectories of four doctors trained as psychiatrists in the Stalinist era who went on to work in research institutes, universities and the Health Commission. Although they were all proponents of an anatomical approach, they were nonetheless rivals, sometimes competing directly with one another. Beginning with the campaign “against mechanical materialism and Menshevik idealism” launched by Stalin in December 1930, the analysis will focus on the struggles between the different protagonists to each impose their own approach and make a career, their ways of acting, and the redefinition of the social rules of science. In this article we defend a hypothesis that goes against the idea that authoritarian movements necessarily represent a closing down of the domain of the possible, arguing that they can also constitute an opening up of the possible, both individually and institutionally. These new opportunities, however, go hand in hand with the exclusion of specific approaches and the colleagues who defend them. The narrowing of possibilities did occur, but not until the early 1950s, when the political authorities decided to put an end to pluralism in science.