
ANNALES HISTORIQUES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE Nº 420 (2/2025)
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La place de la paternité dans la construction des masculinités au XVIIIe siècle est prépondérante. Dans les mondes savants, la mise en scène d’une paternité tendre et éclairée s’impose dans les discours élégiaques dès 1750. Elle donne des indications sur la fac¸on dont les savants pouvaient se présenter comme des « hommes recommandables ». À travers l’analyse d’une cinquantaine d’éloges de l’académie de Montpellier, mis en regard d’écrits à la première personne de trois savants (Pierre-Joseph Amoreux, André-Marie Ampère et Alexandre Brongniart), nous mettons en évidence deux discours qui agissent en parallèle. Ces deux discours qui justifient les mises en scène de la masculinité savante sont : d’une part celui produisant un modèle du savant, bon père, porté en héritage par la communauté et revendiqué par certains fils, d’autre part, celui d’une masculinité indépendante qui nourrit les récits des hommes de sciences s’opposant à leur père ou n’ayant pas de descendance. La coexistence de ces discours démontre alors la malléabilité des masculinités pour ancrer les privilèges sociaux masculins. Les discours sur les pères offrent ainsi l’image d’un savant utile à la société par ses pratiques de reproduction d’une masculinité savante. Celle-ci se réclame de la raison, de la civilité et de la sociabilité, et s’ancre dans une incarnation de l’autorité permettant de se défaire d’une image de masculinité fragile et souffrante parfois accolée aux savants.
The role of paternity in the construction ofmasculinities in the eighteenth century was preponderant. In learned circles, the staging of a tender and enlightened paternity became a feature of elegiac discourse from 1750 onwards. Such a depiction offers insights into the way in which the “educated” could present themselves as “recommendablemen”. By analyzing some fifty eulogies from the Academy of Montpellier, compared with first-person writings by three scholars (Pierre-Joseph Amoreux, André-Marie Ampère and Alexandre Brongniart), it is possible to highlight two discourses operating in parallel. These two discourses that exemplified in this staging of learned masculinity are, on the one hand, that of the learned man as a good father, admired by his sons, and on the other, that of an independent masculinity molded by accounts of scientists who opposed their father, or had no descendants. The coexistence of these discourses demonstrates the malleability of masculinities in the foundation of male social privileges. The discourse on fathers thus offers the image of a learned man useful to society through his practices of reproducing an “educated” masculinity. This masculinity claims to be based on reason, civility and sociability, and is rooted in an embodiment of authority that allows one to shed the fragile and suffering image of masculinity sometimes associated with scholars.