Histoire, économie & société (3/2008)
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Depuis les mémoires d’Otto von Bismarck, ancien ministre-président de Prusse (1862-1871) puis chancelier du Reich allemand (1871-1890), l’histoire des relations internationales retient que l’unification allemande s’est faite autour de la Prusse grâce à la « neutralité bienveillante » russe dans ses trois guerres successives (contre le Danemark en 1864, l’Autriche en 1866 et la France en 1870). En soutenant la Russie pendant l’insurrection polonaise de 1863, Bismarck s’attirerait la reconnaissance tsariste et briserait le rapprochement franco-russe. Les archives russes, aujourd’hui ouvertes au chercheur, montrent au contraire qu’en juillet 1866 culmine, sur la Neva, une politique conservatrice d’opposition aux menées bismarckiennes. Après son échec, elle tente de réaliser son but depuis la défaite de Crimée : se délier des clauses de la Paix de Paris (1856) concernant la neutralisation de la mer Noire. La démarche unilatérale, voulue par le ministre Gortchakov, avorte en septembre 1866, avant de réussir à l’automne 1870, à la faveur de la guerre franco-allemande. Cette relecture amène, sources à l’appui, à réviser la place, grandement surévaluée jusqu’ici, de la Russie dans la géostratégie prussienne. En 1863, Bismarck cherche surtout un « coup » politique qui fasse entrer son pays dans le jeu européen. Puis il fait de la France, la cible de sa diplomatie pour obtenir l’appui de Napoléon III dans la question allemande. Entre 1867 et 1870 enfin, il se garde de tout engagement ferme en faveur de la Russie en Orient pour éviter une guerre européenne ; en menant une politique d’équilibre, voire conciliante, avec l’Autriche, il veut obtenir que le conflit franco-allemand reste localisé.
Since the memoirs of Otto von Bismarck, Prussia’s former minister president (1862-1871) then chancellor of the German Reich (1871-1890), there has been a consensus among historians of international relations according to which German unity was made around Prussia thanks to the “benevolent neutrality” of Russia throughout its three successive wars (against Denmark in 1864, Austria in 1866 and France in 1870). By supporting Russia during the 1863 Polish uprising (Alvensleben Convention) Bismarck was to win her gratitude and put paid to Franco-Russian reconciliation. The Russian archives, finally open to researchers, show on the contrary that in July 1866 a conservative policy culminated on the Neva to thwart Bismarck’s manoeuvres. After the failure of such a policy, Russia tried to achieve the aim pursued since the Crimean defeat : free herself from the clauses of the Paris Peace Treaty (1856) pertaining to the neutralization of the Black Sea. The unilateral approach deliberately taken by minister Gortchakov as early as September 1866, failed, before it succeeded in the autumn of 1870, thanks to the Franco-German war. This rereading induces us to revise the greatly overestimated place of Russia in Prussia’s geostrategy. In 1863, Bismarck mostly sought to pull a political “stunt” to enable his country to join the European power game. Then he made France the target of his diplomacy to obtain the support of Napoleon III in the German question. Finally from 1867 to 1870, he carefully avoided any firm commitment for Russia in the East to avoid a European war ; he preferred a balanced, even conciliatory policy with Austria to manage to keep the Franco-German conflict localized