Revue d'histoire des sciences - Tome 64 (2/2011)
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L’épidémiologie est parfois définie comme « la science fondamentale de la santé publique » parce que les épidémiologistes cherchent à identifier les causes de maladies dans le but de promouvoir des actions de prévention. Dans la première moitié du XXe siècle, la discipline épidémiologique, jusqu’alors presque exclusivement limitée aux maladies infectieuses, s’intéressa davantage aux maladies chroniques comme le cancer et les maladies de coeur. Dans le même temps, les épidémiologistes développèrent de nouvelles méthodes de recherche améliorant la surveillance et l’identification des facteurs de risque au niveau des populations. Mais avec ces changements, une nouvelle manière de penser les relations entre cause et effet devint nécessaire. S’intéresser à une multiplicité de facteurs de risque comme causes d’une maladie chronique s’opposait au modèle de la causalité spécifique alors utilisé pour la maladie infectieuse. Par suite, les épidémiologistes des maladies chroniques développèrent des modèles probabilistes multifactoriels de la causalité, influencés par les développements en physique quantique et en biologie. Les nouveaux modèles de la causalité reflétaient la complexité et l’incertitude de la survenue d’une maladie chronique. Par exemple, alors que les fumeurs de cigarettes développent plus fréquemment un cancer du poumon, fumer des cigarettes n’est ni nécessaire ni suffisant pour avoir un cancer du poumon. Les épidémiologistes élaborèrent aussi des règles informelles pour l’inférence causale, qui remplacèrent les postulats de Koch utilisés dans l’étude des maladies infectieuses. Mais ces nouvelles approches de la causalité et de l’inférence causale étaient autant influencées par les besoins pratiques de la santé publique et de la prévention des maladies chroniques que par les nouvelles constatations scientifiques. Alors que certains épidémiologistes continuèrent à défendre l’existence de causes spécifiques et déterministes, ils reconnurent que les modèles probabilistes et non-spécifiques de la causalité de la maladie étaient nécessaires dans la pratique en santé publique.
Epidemiology is sometimes referred to as « the basic science of public health », because epidemiologists seek to identify causes of disease with the aim of supporting preventive interventions. In the first half of the 20th century, the discipline of epidemiology shifted from a focus almost exclusively on infectious diseases to address chronic conditions, such as cancer and heart disease. At the same time, epidemiologists developed new research methods, enhancing ongoing surveillance and identification of risk factors in large populations. However, these changes required novel thinking about cause and effect relationships. The focus on multiple risk factors as causes of chronic disease was counter to the infectious disease model of specific causation. Thus, chronic disease epidemiologists developed probabilistic multifactorial models of causation, influenced by developments in quantum physics and biology. The new models of causation reflected the complexity and uncertainty of chronic disease occurrence. For example, while cigarette smokers develop lung cancer at a much higher rate, cigarette smoking was neither necessary nor sufficient for lung cancer. Epidemiologists also developed informal guidelines for causal inference in place of Koch’s postulates used in studying infectious diseases. But these new approaches to causation and causal inference were influenced as much by the practical needs of public health and chronic disease prevention as they were by new scientific findings. While some epidemiologists continued to promote the existence of specific deterministic causes, they acknowledged that probabilistic and non-specific models of disease causation were required in public health practice.